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Bonjour, aujourd'hui, j'ai l'immense plaisir de publier une nouvelle érotique de Xavier Deutsch, l'un des auteurs belges les plus talentueux de sa génération. Lauréat de plusieurs prix littéraires, il nous confie ici une superbe histoire de séduction au téléphone... Thomas lève les yeux vers le ciel : un nuage gris marche depuis l'ouest et, lentement, il avance vers le quartier. Est-ce qu'il se mettrait à pleuvoir, enfin ? Depuis deux semaines, la canicule affole les chiens des rues, fait rentrer les vieillards dans la fraîcheur de leur tanière. On sort peu, on se réfugie sous l'ombre. Il ne reste à jouir du soleil que certaines jeunes gens, les petits frères et les petites sœurs de l'été, les marchands de glace et les garçons de café. Thomas est un homme heureux. Il approche de la cinquantaine mais il paraît cinq ans de moins que son âge et, même s'il se convainc que cela n'a pas d'importance, c'est le genre de motif dont il lui arrive de se réjouir. Il en est là, sur cette après-midi du mois d'août, à pousser la porte de la librairie, lorsque la sonnerie de son portable retentit. Il enfonce la main dans la poche de son veston de lin et regarde l'écran : numéro privé. Il hésite à répondre. Puis, de crainte de manquer un message qui peut avoir son importance, il pousse la petite touche verte et prononce de sa voix chaude : « Oui ? Bonjour. » Aussitôt se fait entendre la phrase la plus inattendue qu'on puisse imaginer : « Thomas ? C'est Julie ! Alors écoute, c'est bien simple, j'ai fait très exactement ce que tu m'as dit. Je suis assise à la terrasse de chez Lermitte, je porte la même robe qu'avant-hier et... Tu devines ? Je n'ai rien dessous ! Tu es content ? » Thomas reste un moment sans dire un mot. Julie ? Quelle Julie ? Quelle robe ? Quel avant-hier ? Il ne comprend pas. La jeune femme, d'une voix riante et chaleureuse, ajoute : « Alors ? Tu ne dis rien ? Ohé ! Je suis là... » Il finit par se résoudre à prononcer : « Je vous demande pardon, Madame, mais je ne comprends pas. Je suis vraiment confus de vous le demander, mais qui êtes-vous ? » La nommée Julie rit et déclare : « C'est ça ! Tu me joues le coup de la panne ? » Il sourit, reprend ses esprits et répond encore : « Je suis désolé, non, je vous assure que je ne comprends pas. Peut-être avez-vous formé mon numéro par erreur ? » La jeune femme semble redresser en elle son sérieux et demande alors : « Attends, ce n'est pas Thomas ? » « Oui, répond-il, je me prénomme Thomas, mais peut-être vous-êtes vous trompée de Thomas ? Enfin, je veux dire que je ne connais pas de Julie et que je ne vois pas ce que vous voulez dire par cette histoire de robe qui... » « Attendez, attendez. Vous n'êtes pas le Thomas de la soirée d'avant-hier, chez Céline ? » « Non, Madame, j'en suis désolé mais il s'agit visiblement d'une erreur. » La jeune femme - quel âge peut-elle avoir ? au jugé, Thomas dirait la trentaine, une trentaine joyeuse, malicieuse... - soupire, semble déçue, et prononce : « C'est moi qui suis désolée, Monsieur. Cet autre Thomas a dû me donner un faux numéro et je suis confuse de vous avoir dérangé. » Thomas sourit à nouveau et répond qu'il n'y a aucune inquiétude à avoir, qu'elle ne l'a pas dérangé. Et, après s'être mutuellement souhaité une bonne fin de journée, ils raccrochent tous deux. Il rempoche son portable et regarde ce nuage qui s'est encore avancé. L'air sent la pluie, l'eau, et Thomas pousse la porte de la librairie en se disant qu'il ne va pas s'attarder. Quelle heure est-il ? Un coup d'œil au rayon des guides de voyage et il rentre à la maison : Laurence risque de l'attendre. Elle l'attend. Elle est allongée à l'ombre du prunier, dans le jardin, sur une chaise longue. Elle porte un chapeau de paille, des lunettes de soleil et une petite robe courte qui lui découpe une silhouette admirable. Thomas s'avance, sourit à sa femme et l'embrasse sur la bouche puis elle dit : « Tu n'as pas chaud avec ton veston ? » Il répond d'un air résigné qu'il n'a pas eu le choix : rendez-vous avec Bertin égale veston. Puis il donne à Laurence le guide qu'il a enfin déniché, après avoir dû le commander, l'attendre durant quatre semaines, sur les îles Spitzberg. Elle sourit : « Ah ! ça nous rafraîchira ! On part quand ? » Le nuage gris de l'après-midi s'est éloigné, il n'a pas plu. Et Thomas, retirant son veston, et passant une main sur la jambe nue de sa femme, lui demande si elle veut un Martini avec six glaçons. Quand il revient avec les deux verres, son visage est éclairé d'une joie intérieure et il raconte à Laurence l'appel qu'il a reçu, cinquante minutes plus tôt : cet appel d'un numéro privé, cette Julie qu'il ne connaît pas, ce quiproquo à propos du prénom. Un instant, il hésite à parler de la robe et de ce détail qui lui a été révélé : Julie ne portait rien, dessous. Faut-il tout dire ? Une réticence le retient. Peu importe le détail. Et Laurence sourit à son tour puis elle parle d'autre chose. Thomas l'écoute mais il se surprend à penser à cette Julie, à cet appel qui est venu allumer quelques étincelles sur le bord de son après-midi. Numéro privé, numéro caché : pas moyen de rappeler cette délicieuse personne... Peut-être cela vaut-il mieux, après tout. Et il savoure son Martini, auprès de sa femme, dans la chaleur du jardin. Le soir même, alors qu'il termine de rédiger le rapport intermédiaire du dossier Bertin, Thomas entend résonner son portable. Il tourne le regard vers l'écran, voit s'afficher un numéro qu'il ne connaît pas. Il lit le message : « Tout à fait désolée encore de vous avoir importuné avec cet appel qui a dû vous étonner. Peut-être même vous choquer. Julie » Il sourit. C'est vrai, il n'y avait pas pensé : s'il ne connaissait pas le numéro de cette Julie, elle possédait bel et bien le sien. Il réfléchit quelques secondes et répond : « Aucun problème, vous ne m'avez pas importuné, ni choqué. » Pour plus de Recit erotique-- > https://histoirecokine.jimdo.com/ pour la suite |