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Lionel
12 juin 2016
C'était un soir de mai, brumeux de cette brume qui rend les choses confidentielles, intimes. Je traînais mon désœuvrement dans cette fin de journée interminable, comme si le brouillard retenait encore la lumière du soleil, quand je décidai hypocritement de pénétrer dans un troquet où j'avais quelques habitudes. À vrai dire, je n'étais pas sorti de chez moi pour humer l'air ambiant mais bel et bien pour descendre quelques pichettes et - pourquoi pas ? - faire quelques rencontres. La clientèle était présente mais clairsemée, quelques jeunes couples étaient attablés çà et là, personne au comptoir. Je décidai de m'y asseoir. David, le serveur me fit un signe de tête qui voulait dire « Salut. Qu'est-ce que j'te sers ? »

- St émilion. J'ai bien aimé, la dernière fois.
- Ok ok. Quoi de neuf ?
- Tout est d'occase.
- Hm... Tu respires la joie de vivre, c'est toujours un plaisir de te recevoir.
- Arrête, t'es con.

Devant mon verre de velours, je me mis à penser que c'est vrai qu'il est con. Merde, quoi, je suis pas malheureux, enfin ! J'exulte pas, je saute pas partout, je suis pas expansif, j'ai pas besoin de ça, j'ai pas besoin de faire semblant non plus comme plein de gens. Bon, oui, c'est vrai, je suis pas non plus le gai luron qui égaye les soirées, mais quoi...

La porte venait de s'ouvrir et, machinalement, dans un geste que je réprouve par sa vulgarité, j'ai tourné la tête. Une jeune femme venait d'entrer, elle me tournait le dos en fermant la porte, je pus admirer (oui, admirer, vraiment) une belle chevelure châtain clair qui tombait raide dans son dos. Les pointes faisaient des mèches irrégulières et floues, ce qui ajoutait un peu de négligence à cette perfection. Quand je vois ce genre de choses, j'ai toujours envie d'en savoir un peu plus. J'attendis donc impatiemment qu'elle se retournât, j'espérai le plus vite possible parce que je détestais mon geste grossier et indélicat : mater les gonzesses de dos qui entrent dans les bistrots. En voilà des manières de goujat ! C'est pas bien grave, tu me diras.

Elle se retourna et lança un regard semi-circulaire sur l'assistance, un peu par en-dessous. Elle était jeune, elle en avait pas vingt-cinq. Une créature vraiment difficile à décrire. Son visage avait la douceur de cette soirée de printemps, de cette beauté juvénile qui nous interpelle sur la fugacité de la vie. Un jour, tout ceci disparaîtra. Oh misère !

Beaucoup plus simple à dépeindre était sa tenue vestimentaire. Ah ça, oui, pour du simple, c'était du simple et ceci me frappa immédiatement. Elle était habillée très, très très très près du corps, suivant la mode des jeunes filles du moment, qui est une joie pour qui sait le voir et le regarder. Elle portait un top moulant rose pâle modérément décolleté et qui lui recouvrait jusqu'aux poignets. Et en bas, un leggings noir s'arrêtait à ses chevilles. Des espèces d'espadrilles ou d'escarpins rouges sans talons laissait apparaître le dessus de ses pieds. Les seules fantaisies qui venaient briser cette austérité consistaient en un bracelet d'argent au poignet gauche et d'amples boucles circulaires à ses oreilles. Le petit sac à main de cuir fauve, sans exubérance, pendu à l'épaule. Difficile de faire plus simple, de cette simplicité prude qui fait se retourner, à son passage, les regards des gros cochons. Parce que y'a pas à dire : je suis peut-être pas de Funès, mais je suis un gros cochon.

Il y a fort à penser - et tel était le cas, en quelque sorte - que cette simplicité de pudeur n'est qu'une manière parfaitement délibérée de montrer ce que l'on n'a pas le droit, au quotidien et en public, avec l'air innocent de pas y toucher. « Quoi, qu'est-ce qu'il y a ? Qu'est-ce que j'ai fait ? » C'est ça, ouais. Toujours est-il que cette douce apparition aurait pu tout aussi bien, ce matin-là, déboucher deux pots de peinture, un rose et un noir, et se badigeonner avec, ça aurait été du pareil au même. « Qu'est-ce qu'elle est jolie ! » me disais-je tout en pensant qu'elle n'était probablement pas pour moi.

Elle était seule et n'avait que peu de raisons de s'asseoir à une table, elle vint donc prendre place au zinc, à un mètre de moi, avec un aplomb un peu forcé. Mon cœur se mit à battre bêtement, j'avais envie qu'il se passe quelque chose.

Le serveur s'acquitta de sa fonction, mielleusement, comme il se doit dans ce genre de circonstances :

- Cette demoiselle désirerait boire quelque chose ?
- Et comment !

Cette réponse abrupte me décocha une décharge électrique qui, une fois passée, fit place à un sentiment de béatitude idiote, quoique très agréable.

- Et ça sera ?

Les jambes croisées, le coude sur le comptoir, la joue dans la main, je regardais ma voisine qui tourna la tête vers mon verre qu'elle pointa d'un coup de menton :

- C'est quoi, ça ?
- St mimile, fis-je.
- Voilà, parfait, je vais prendre ça aussi.

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